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oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
23 mai 2020

Kami Kaze : l'Esprit Divin du Vent

Quand on entend le terme « kamikaze », on pense aujourd’hui instantanément à un homme (ou une femme) prêt à mourir en actionnant une ceinture explosive qu’il porte au milieu d’une foule la plus dense possible, de façon aveugle et non ciblée, juste pour le plaisir de faire un maximum de morts innocents. Bien sûr, cet homme, ce terroriste, pense agir pour une noble cause, celle pour laquelle il a été endoctriné au point de mépriser sa propre vie et celle des autres. Esprit faible, lavage de cerveau, haine contre les autres, espoir d’une reconnaissance dans ce monde ou celui de l’au-delà, de multiples raisons peuvent expliquer une telle action mortifère.

On sait que ce mot « kamikaze » désigne à l’origine les pilotes japonais qui, lors de la fin de la guerre du Pacifique (1944), alors que la défaite de leur pays face aux Etats-Unis semblait inexorable, se sacrifiaient en propulsant leur avion sur les porte-avions ennemis. Si les premiers kamikazes avaient un côté héroïque et sacrificiel, dans la lignée des samouraïs, il faut avouer que les derniers kamikazes n’avaient plus rien  de chevaleresques, puisque c’étaient de jeunes pilotes endoctrinés et formés uniquement au décollage et au piqué sur une cible, dans un avion chargé d’explosifs. Beaucoup d’entre eux obéissaient aux ordres, sans aucun désir de mourir ou de donner la mort, mais contraints par la pression sociétale du Japon de l’époque qui ne pouvait envisager la défaite et la reddition. La plupart d’entre rataient leur cible ... Ce nom de kamikaze faisait référence aux typhons qui quelques siècles plus tôt avait empêché les mongols d’envahir le pays du Soleil levant (voir plus loin).

 Pourtant, « kamikaze » est un mot qui a une origine bien différente et bien plus ancienne que ces deux interprétations bien connues. Le mot est un composé de deux mots japonais : Kami et Kaze (prononcer « kazé »). Le terme kami signifie, dans la religion shinto, « esprit divin », alors que kaze signifie « vent ».  Kamikaze est en fait la contraction de Kaze no Kami, signifiant donc « Esprit divin du vent ».

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 Le shinto, la religion d’origine du Japon, est souvent appelé Voie des Dieux (traduction de Kami no Michi, autre nom du shinto). Pour être très précis, la traduction de kami serait plutôt « force ou principe spirituel agissant », mais les termes esprit divin, dieu ou divinité sont employés communément pour plus de simplicité.

 Le pluriel employé dans « Voie des dieux »  renvoie tout de suite à une notion de religion polythéiste, ce qui est confirmé par la présence effective de nombreuses divinités (kami) adorées dans les sanctuaires shinto. Pour cette raison, le shinto est souvent rapproché du chamanisme. Effectivement le shinto est issu des croyances et des pratiques rituelles apparues à l’époque protohistorique du Japon : culte de la nature, culte des morts, rites agraires.

 Kaze no Kami, l’esprit du vent, a une importance particulière dans un pays tel que le Japon, soumis depuis toujours à de multiples caprices de la nature, dont les typhons sont une des expressions extrêmes. Le vent est un facteur déterminant de la vie quotidienne des agriculteurs et des pêcheurs.

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 Le sanctuaire shinto d’Ise, le plus important sanctuaire de cette religion, dont le principal bâtiment est consacré à Amaterasu (kami du Soleil), possède aussi un bâtiment dédié à Kaze no Kami : Kazahinomi no miya.

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L’insuffisance ou l’excès de vent sont néfastes, mais sa présence et son expression sont indispensables à la vie. Sans vent, les voiles des bateaux de pêche ne peuvent se gonfler et les graines ne peuvent se disséminer. Trop de vent déchire les voiles et provoque des naufrages, détruit les rizières et les plantations. Cela explique que Kaze no Kami, l’esprit du vent, est particulièrement vénéré. A Nara, ancienne capitale du Japon, le sanctuaire Anashinimasu Hyozu Jinja fait référence aux vents saisonniers orageux du nord-ouest dans le cadre d'un culte pour la prévention des vents dommageables. Par ailleurs, de nombreux cultes locaux utilisent des faux ou faucilles comme instruments magiques pour assurer la protection contre le vent afin d’assurer des récoltes abondantes. La plupart de ces rituels se passent autour du "210ème jour" à compter du premier jour de la nouvelle année, jour censé signaler le début de la saison des typhons.

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Dans de nombreux endroits, des exorcismes « kami du vent » (kaze no kami okuri) sont pratiqués pour chasser les mauvais esprits. De tels rites visent non seulement à éviter les typhons et autres vents violents, mais aussi à exorciser et à chasser les autres mauvais esprits que sont  kami épidémiques (ekishin),  responsables du rhume et de la grippe liés au froid et courants d’air.

 Kamikaze, vent divin, fait aussi référence au typhon qui a sauvé le Japon par deux fois lors des invasions mongoles (1274, 1281). Alors que les japonais faisaient face à une invasion maritime des mongols contre lesquels ils s’avéraient militairement largement surpassés, des typhons vinrent miraculeusement détruire la flotte des envahisseurs, les obligeant à rebrousser chemin, ce qui a permis au Japon de rester intouchable.

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De façon plus quotidienne et pacifiste, le kami du vent est aussi celui qui s’exprime dans la légère brise qui vient nous rafraîchir une journée d’été, le petit vent qui fait vibrer soudainement le feuillage d’un arbre qu’on est en train d’admirer, celui qui fait s’envoler les fleurs du cerisier.

 

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Dans la méditation ARIGATO ZEN, les sessions organisées par Soho Machida au Japon s’appellent Kaze no Tsudoi, ce qui veut dire "Rassemblement du Vent". Pour Soho Machida, le vent (Kaze) prend ici le sens d’esprit, ou pneuma en grec, ce que Machida considère être la nature de Bouddha que chacun possède en soi. C’est également le vent qui amène les gens à pratiquer ARIGATO ZEN et à y revenir ou non.

 Et ARIGATO ZEN, c’est le souffle, le vent qui entre en nous (inspire) et en ressort (expire) à chaque son du mantra, chargé de nos pensées et émotions, nettoyant notre corps et notre esprit.

 Alors, quand on vous parle de kamikaze, ne pensez plus forcément aux terroristes, mais entendez également « kami kazé » ou « kaze no  kami », esprit du vent, et pensez au vent léger ou fort qui souffle sur notre planète, pensez à votre respiration et au vent qui circule en nous, nettoyant corps et esprit.

 

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Orribu

photos (c) Oriibu 2009, sanctuaire Ise, Japon

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oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
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Bio bio d'Oriibu

Né au Japon en 1599 et mort en 1664, on ne sait pas grand-chose de la vie d’Oriibu, si ce n’est qu’il aimait les fleurs de cerisier et la soupe miso. Réincarné en Français au 20ème siècle, il regarda dès son plus jeune âge vers le pays du Soleil Levant, la fenêtre de sa chambre étant orientée plein Est.

Son livre de chevet est le 五輪書 de Miyamoto Musashi, qu’il a bien connu, mais il n’a toujours pas compris le titre. 

Altruiste, il pratique le kendo car il est persuadé que c’est bon pour la Paix dans le Monde, et il trouve que c’est très jus de raisin de se battre avec des copains pour gagner du terrain. Il pratique aussi la méditation, car il aime ne penser à rien.

Il adore les sushis.

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La seule photo connue d’Oriibu, à Kumamoto vers 1638 (?)


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