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oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
21 juin 2020

Arigato Zen et la révolution Musubi / chap 1: Musubi dans le shinto

LE MOT MUSUBI

Comme c’est le cas pour la plupart des mots de la langue japonaise, il n’existe pas de traduction littérale de musubi. Le verbe musubu (むすぶ, 結ぶ) signifie lier, porter (fruits), conclure, connecter, unir, allier, fermer fortement, pincer, et le  nom commun musubi (むすび, 結び) a le sens de fin, conclusion, jonction, union.

Ainsi, on retrouve le terme musubi dans les expressions suivantes : musubime (nœud), musubitsuki (relations, rapport, lien, union, connexion), musubitsuku (s'unir à, se rattacher à, être lié à), musubitsukeru  (unir, attacher, rattacher, lier à, joindre, relier, allier). musubi est donc un mot utilisé dans des expressions courantes en y mettant le sens de nouer, lier, connecter, unir, attacher, relier, etc.

Mais au-delà de cette utilisation de musubi dans le langage courant des japonais, ce mot revêt un sens spirituel développé dans la religion shinto. Le concept spirituel de musubi n’a pas de traduction littérale dans une langue occidentale et ne peut pas être exprimé de façon simple. Il faut donc le considérer sous différents aspects afin d’en comprendre le sens profond qui explique en grande partie le mode de pensée des japonais et ouvre des perspectives modernes et positives pour l’évolution de notre monde, comme le souhaite Soho Machida. Pour cela, nous allons d’abord essayer de définir ce qu’est le shinto, puis le terme kami, ce qui nous permettra de placer le concept de musubi dans son environnement.

LE SHINTO

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Le mot « shinto », traduit par « Voie des dieux »,  est issu des deux kanji  chinois shin (神, kami en japonais, dieu ou dieux) et to (道, do ou michi en japonais, voie). Le shinto, autrement appelé kami no michi en japonais, est le nom de la religion d’origine du Japon.

L’ensemble des croyances et pratiques rituelles du shinto prennent leurs racines dans l’époque protohistorique du Japon (Jômon, -10000 à -300 avant JC) et ses cultes de la nature et des morts ainsi que ses rites agraires, mêlant des éléments polythéistes et animistes. Le shinto est donc une religion spécifiquement japonaise qui s’est forgée et structurée seule au long de plusieurs milliers d’années, mais on ne peut nier qu’à partir du Vème siècle le bouddhisme, le confucianisme et le taoïsme l’ont influencé, sans qu’il soit toujours facile de définir à quel degré.

Ces pratiques et croyances n’avaient à l’origine pas besoin de nom, elles étaient simplement et naturellement pratiquées. Ce n’est qu’au VIème siècle de notre ère que le mot « shinto » fut officiellement employé, en réaction à l’apparition et au fort développement du bouddhisme introduit au Japon. Deux livres commandités alors par l’Empereur du Japon décrivent la cosmogonie du shinto: le Kojiki (chronique des faits anciens, 712) et le Nihonshoki (chroniques du Japon, 720).

La principale différence entre le shinto et les grandes religions monothéistes réside dans le fait qu’il est non dogmatique. Il s’agit plus d’une « philosophie universelle de la nature »  que d’une religion révélée. Le shinto n’a pas de fondateur, pas de doctrine systématique ou de dogme absolu, pas de préceptes ou commandements, pas d’objets de vénération comme des symboles ou idoles. Le Kojiki  et le Nihonshoki ne sont en rien des textes sacrés faisant office de Loi Divine comme la Bible ou le Coran peuvent l’être, mais juste des textes décrivant la mythologie et la cosmogonie shinto.

sanctuaireShinto

Dans le shinto, il n'y a pas de croyance rigide ou de rite d'initiation. Pour être pratiquant shinto, il suffit d'avoir l'esprit shinto: l'esprit de gratitude pour le don de la vie et les bienfaits des Kamis. N’importe qui peut être shinto, pour peu qu’il ait cette forme de révérence, de sincérité et de gratitude qui découle naturellement de la vie, et qu’il vive conformément à celles-ci. C’est ce qui est appelé le « kannagara », signifiant « en accord avec les Kamis » .

Cela explique qu’il existe des centaines d’écoles ou branches shinto, officiellement reconnues ou plus informelles. Jean Herbert, grand érudit du shinto, a dit : « j’ai rencontré plus d’un millier de prêtres shinto et de shintoïstes, et aucun ne m’a dit la même chose. »

 

KAMI

Le terme kami est souvent traduit par dieu, mais cela ne rend qu’imparfaitement le sens de ce mot. On peut distinguer deux types de kamis : les kamis « célestes » décrits dans la mythologie shinto : clairement identifiés, ayant chacun un rôle bien défini (l’un des plus connus de ces kamis est Amaterasu-Omikami, déesse du Soleil), et les kami de la nature, qu’on peut décrire comme l’a fait  Motoori Norinaga (1730-1801) comme « Tout ce qui possède certaines qualités éminentes sortant de l'ordinaire, ou qui est impressionnant de nature. »   Un arbre majestueux, un coucher de soleil magnifique, un vent qui fait joliment bruisser les feuilles d’un arbre, un rocher extraordinaire ou une superbe montagne sont des kamis:

« Tout dans la nature est métamorphose et création des kamis, donc le caractère sacré de ces derniers réside en toute chose  ».

amaterasu-disque    kami-rocher

Dans les deux cas, il est plus juste de parler d’Esprit divin plutôt que de dieu.

En complément de ces notions de kamis célestes et liés à la nature, il convient d’ajouter la notion de Kami intérieur : « Le corps humain lui-même, dans son état naturel et pur est un kami. » (shinto Yamakage).

« Chaque être humain possède un kami intérieur, esprit-enfant (bunrei) du kami créateur de l’univers, pur et doté d’une grande sagesse » (Motohisa Yamakage). Ce kami intérieur est le vrai-moi trop souvent en conflit avec le moi-ego du monde relatif et conflictuel. Unifier le kami et l’être humain permet de devenir un spirituellement.

 

MUSUBI DANS LA MYTHOLOGIE SHINTO

Selon le Kojiki (chronique des faits anciens), avant toute chose il y avait le « Grand Vide », c'est-à-dire ni existence ni non-existence… Puis, au commencement du Ciel et de la Terre, venu de nulle part apparut le premier kami Ame no Minaka Nushi no Kami (Auguste Kami du Centre de l’Univers) immédiatement suivi de Takami musubi no Kami (Auguste kami créateur de merveilles) et Kami musubi no Kami (Kami créateur de trésors). Ces 3 premiers Kamis, nés d’eux-mêmes, sont à l’origine de la terre et de la vie: ils proviennent du néant, du vide. Ce sont les Dieux-créateurs, il n’y a rien dans l’univers qui ne provienne de ces trois kamis.

On voit que, dès le début du « commencement du Ciel et de la Terre », la notion de musubi apparaît. Si le premier kami est le « pilier central de l’univers », les deux musubi-kami sont « la base de la naissance et de la croissance de toute chose » : Takami musubi représente la potentialité masculine, expansive et différenciante, facteur positif, soleil, développement du mental, tandis que Kami musubi symbolyse la potentialité féminine, contractante et réintégrante, facteur négatif, lune, développement de la vie.

Takami musubi  et Kami musubi sont les kamis de la première dualité du shinto: ciel-masculin / terre-féminin. Ce sont eux qui représentent l’esprit et la base de la naissance, la puissance de création et d’harmonisation et la croissance de toute chose.

Les kamis qui suivirent sont tous les esprits-enfants de ces trois premiers kamis. A leur tour, ces divers kamis ont généré tous les phénomènes de l’univers. Issus de cette chaîne de procréation, les êtres humains, les animaux, les plantes et toute créature naturelle sont, dans leur essence profonde, la progéniture du premier kami, Auguste Kami du Centre de l’Univers.

 

MUSUBI: FORCE VITALE

Musu peut être traduit par « engendrer, créer, générer, unir » et hi (bi) par « soleil, feu, lumière ou esprit ». musubi est donc le Soleil qui engendre,  mais aussi le Feu qui génère,  l’Esprit qui crée, donnant à musubi le sens «d’Esprit de naissance et de devenir ».

Mais pour certains penseurs shinto, musubi serait la contraction de « mi musubi » ou le « mi » (signifiant trois) ajoute une troisième composante : sur un plan tangible (concret),  musubi est le soleil qui engendre, tandis que sur un plan intangible (insaisissable) c’est « une puissance dynamique unissant une paire d’opposés corrélatifs tels que l’homme et la femme, le jour et la nuit » (C. Fujisawa)

musubi est non seulement la force qui crée, mais c’est également la force intangible qui connecte les opposés dans l’ensemble de la Grande Nature : humains, animaux, végétaux, minéraux. Cette force créative et connective génère une énergie qui est à la base de toute vie.

 

MUSUBI INDIVIDUEL

Au-delà du musubi collectif, il y a le musubi individuel: évolution, transformation et développement de l’esprit, le rendant plus fort. C’est l’engendrement, la culture, la transformation et le développement du nahohinomitama (pur esprit) du shinto.

Le musubi individuel se conçoit dans trois « créations » : celle du corps (entretien de la santé), celle  du cœur (croissance psychologique), celle de l’esprit (purification de l’âme) 

Au nivau individuel, l’ambivalence de musubi se traduit par ce qui est mauvais (tout ce qui empêche ces créations) et ce qui est bien (tout ce qui favorise ces créations), notions bien différentes de celle du pécher chrétien (le bien et le mal selon une moralité).

Dans la pensée shinto, chaque être vivant possède un Esprit unique : ichi rei. Cet esprit résulte du degré de développement de quatre âmes que tout être vivant possède : l’âme sauvage, l’âme d’harmonie, l’âme joyeuse et l’âme mystérieuse. Les deux premières sont dites inconscientes, alors que les deux autres sont conscientes et représentent la dualité de musubi. L’esprit positif de l’âme joyeuse (sachi mitama) est l’énergie mâle, le développement de la vie, le printemps et l’été (saisons positives), la fleur qui pousse et fleurit, et l’esprit négatif ou passif de l’âme mystérieuse (kushi mitama) est l’énergie femelle qui rétracte et absorbe les choses, présente à l’automne et en hiver (saisons négatives), c’est la fleur qui fane et meurt.

Dans cette dualité, il ne faut évidemment pas confondre la notion du positif et du négatif qui se complètent avec la notion du bien et du mal qui s’opposent. Selon Motohisa Yamakage, être bien c’est « être droit »  (comportement moral, équilibre de l’esprit du corps et de l’âme), et être mal c’est « être tordu » (comportement immoral, gauche, incurvé ou tordu).

Pour aller plus loin, notons que les quatre âmes (sauvage, harmonieuse, joyeuse et mystérieuse), représentant chronologi-quement les aspects physique, émotionnel, intellectuel et spirituel doivent être abondantes et équilibrées pour avoir un  Esprit Unique fort et équilibré. L’excès ou la faiblesse de l’une ou l’autre d’entre elles va provoquer des perturbations de l’être humain, une maladie physique ou psychologique. Là aussi, le principe de musubi dans sa dimension de création et connexion trouve toute sa dimension.

[à suivre]

Oriibu

(photos (c) Oriibu 2013)

 

 

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Bio bio d'Oriibu

Né au Japon en 1599 et mort en 1664, on ne sait pas grand-chose de la vie d’Oriibu, si ce n’est qu’il aimait les fleurs de cerisier et la soupe miso. Réincarné en Français au 20ème siècle, il regarda dès son plus jeune âge vers le pays du Soleil Levant, la fenêtre de sa chambre étant orientée plein Est.

Son livre de chevet est le 五輪書 de Miyamoto Musashi, qu’il a bien connu, mais il n’a toujours pas compris le titre. 

Altruiste, il pratique le kendo car il est persuadé que c’est bon pour la Paix dans le Monde, et il trouve que c’est très jus de raisin de se battre avec des copains pour gagner du terrain. Il pratique aussi la méditation, car il aime ne penser à rien.

Il adore les sushis.

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La seule photo connue d’Oriibu, à Kumamoto vers 1638 (?)


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