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oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
3 janvier 2021

Benzaiten déesse aux multiples visages

Benzaiten est une déesse du bouddhisme japonais très connue et vénérée, que l’on retrouve dans de nombreux temples avec souvent un bâtiment qui lui est dédié : le benten-do.

Elle a la particularité d’être une déesse multicarte, si l’on en juge par son curriculum vitae :

  • Déesse des rivières et de l’eau
  • Déesse de la parole et des lettres
  • Déesse de la richesse et de la bonne fortune
  • Patronne de la musique, poésie, de l’apprentissage et de l’art
  • Défenderesse de la nation
  • Protectrice de la loi de Bouddha

Ca pourrait sembler faire beaucoup d’attributs pour une seule personne (aussi divine soit elle), d’autant plus que sont mélangées des qualités qui pourraient sembler assez éloignées, voire antinomiques, tel que l’art de la musique et le rôle guerrier de protection du pays.

Elle a aussi la singulière particularité d’être la seule femme dans le groupe des sept dieux de la Bonne Fortune au Japon où on la retrouve aussi bien dans des temples bouddhistes que des sanctuaires shinto ou enclaves shugendo. Si la plupart des kamis (esprits divins) du shinto ont été « bouddhéisés » pour faciliter le développement du bouddhisme au Japon, Benzaiten est un des rares cas ou un dieu bouddhiste a été « shintoïsé », à savoir fusionné avec Ugajin, kami des moissons et de la fertilité représenté par un corps de serpent et une tête d’homme barbu ou de femme.

Tout cela fait que Benzaiten est représentée, statues ou peintures, de façon très différente selon le lieu et l’époque, les écoles bouddhistes ou sanctuaires shinto, les sensibilités visées. Et c’est ce qui est le plus étonnant : la jolie joueuse de biwa (luth japonais) et la guerrière portant des armes à chacun de ces huit bras est la même personne ? La réponse est oui, seule la qualité de la déesse mise en avant diffère.

 

Happi Benzentai

Benzentai Hanedera DSCF2047-2

Benzaiten a été introduite au Japon au 7ème siècle en qualité de déesse à huit bras armés pour défendre le bouddhisme et le pays, telle qu’elle était martialement décrite dans le Sutra de la Lumière Dorée, Cette représentation de Benzaiten à Huit Bras dériverait en grande partie de la déesse de combat hindoue Dourga, un aspect de Kali, généralement représentée en Inde avec un visage et huit bras. Dourga représente la puissance et incarne le sacrifice et la connaissance spirituelle. Elle tue le Mal et accorde la richesse matérielle comme spirituelle.

Happi Benzaiten (Happi signifie littéralement «huit bras») porte des armes dans chacune de ses huits mains, symbolisant son rôle de défenderesse du bouddhisme et de protection du Pays. Ces armes sont décrites dans le Sutra de la lumière dorée: un arc (yumi), une flèche (sen), une épée (riken), une hache (ono), une lance (sankogeki), un long pilon (tokkosho), une roue de fer (rin) et une corde (kenjaku).  Au fil du temps, les représentations de Happi Benzaiten ont parfois modifié les objets portés dans chaque main, et on trouve parfois par exemple des icônes porteuses de richesse telles que le joyau exauçant les souhaits et la clé de l'entrepôt.

La plus ancienne sculpture de Happi Benzaiten au Japon date du 8ème siècle, et Benzaiten à Huit Bras a toujours été populaire auprès des samourais, tels le premier shogun Minamoto Yoritomo  (1147-1199), le grand unificateur Oda Nobunaga (1534-1582), le général Toyotomi Hideyoshi (1536-1598) et le puissant daimyo (seigneur) Kobayakawa Takakage (1533-1597).

Mais le mikkyo (bouddhisme ésotérique japonais) mit rapidement l’accent sur ses origines remontant à la déesse indoue de la rivière Sarasvati, également déesse de la musique, de la connaissance, de l'éloquence, de la sagesse et des arts, et la divinité des rivières. A la fois épouse, demi-sœur et fille de Brahma, le dieu créateur de la trimurti (partie manifestée de la divinité suprême qui se fait triple) indienne, leur union souligne la notion que la connaissance est une condition sine qua non de la création. Les possessions matérielles ne l'intéressent pas, aussi elle est habituellement habillée d'un simple sari blanc et porte peu de bijoux, par rapport aux standards indiens. En Chine, Corée et Japon, elle est intégrée au panthéon du bouddhisme où elle représente la gardienne de la loi céleste. Sarasvati, déesse personnifiant un fleuve sacré et l’eau en général, représente par extension tout ce qui coule (la musique, la poésie, l'écriture, l'apprentissage, l'éloquence, la sagesse, le spectacle) et est « l'incitatrice de toutes les chansons agréables, l'inspiratrice de toute pensée gracieuse».

 

Daibenzaiten

DSCF0933

Daibenzaiten est une forme à deux bras de Benzentai, tenant dans la main droite une épée  (riken, symbole de la sagesse, du discernement, du pouvoir sur le mal et de la suppression de l'ignorance) et dans la gauche un joyau (hōju, joyau magique représentant le pouvoir des enseignements de Bouddha et apportant tout ce que l'on désire, y compris le trésor, la nourriture et les vêtements, la guérison de la maladie ou de la souffrance et la victoire sur le champ de bataille). Selon certaines légendes, le bijou a été obtenu du roi dragon de la mer.

Cette forme de Benzaiten est devenue populaire au 13ème siècle (ère Kamakura) et la représente souvent avec le serpent Ugajin (kami de la bonne fortune) enroulé au sommet de sa tête, d’où son autre nom Uga Benzaiten.

 

Une magnifique représentation d’Uga Benzentai se situe sur l’ïle d’Enoshima, lieu particulièrement dédié à la déesse qui serait à l’origine même de cette petite île. L’histoire, qui se situe en 552 après JC, a été racontée par le moine bouddhiste japonais Kōkei (1047) : un dragon destructeur qui terrorisait les pêcheurs de la région fut séduit par la belle déesse et la demanda en mariage.  Benzaiten, éloquente et persuasive, rejeta la proposition du dragon et lui fit comprendre qu'il avait mal agi en tourmentant les pêcheurs. Amoureux et honteux, le dragon cessa ses mauvaises actions et se transforma en île, Enoshima dont la colline est maintenant connue sous le nom de Colline de la Bouche du Dragon (tatsu-no-kuchi yama).

 

 

 

Benzaiten jouant du Biwa,  Déesse de la musique

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Benzaiten jouant du biwa (luth japonais) est la forme la plus courante de la déesse dans le Japon contemporain : une belle femme vêtue d'une robe fluide de style chinois et jouant du luth à quatre cordes (biwa), ou plus rarement de la flûte. Cette représentation de Benzaiten jouant du biwa est apparue très tôt dans les peintures de mandala japonais de l'ère Heian (794 à 1185), mais est restée confidentielle jusqu’à l'époque de Kamakura (1185-1333) où elle devint populaire grâce au succès de cet instrument dans la cour impériale, notamment en raison de Fujiwara no Moronaga (1138-1192), très grand musicien dont les œuvres au biwa sont encore aujourd’hui considérées comme les plus abouties avec cet instrument.

Par ailleurs, la popularité du sutra du Lotus a également mis en avant Benzaiten, grâce au 24ème chapitre dans lequel elle est assimilée à Myō-on Bosatsu (Bodhisattva du Son Merveilleux) en tant que déesse de la musique.

Pendant la période Edo (1603-1868), devenue l'un des sept dieux de la bonne fortune du Japon, sa popularité atteint son apogée, et elle reste aujourd’hui la déesse préférée des musiciens et artistes.

Comme d’autres dieux de l’époque Kamakura, Benzaiten jouant du Biwa est parfois entièrement nue, mais elle était vêtue avant tout rituel ou présentation au public.

 

 

Benzentai enoshima 1

Benzaiten, déesse venue de l’Inde au Japon en traversant la Chine et la Corée s’est donc complètement intégrée à l’esprit et aux croyances japonaises, les hommes y trouvant à chaque époque et dans chaque contexte matière à vénération, que cela soit en tant que déesse de l’eau, guerrière protectrice,  patronne des arts ou déesse de la bonne fortune.

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Oriibu

photos (c) Oriibu

 

Sources et references:

Japanese Buddhist statuary :  http://www.onmarkproductions.com/

Encyclopedia of shinto : http://eos.kokugakuin.ac.jp/

 

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Bio bio d'Oriibu

Né au Japon en 1599 et mort en 1664, on ne sait pas grand-chose de la vie d’Oriibu, si ce n’est qu’il aimait les fleurs de cerisier et la soupe miso. Réincarné en Français au 20ème siècle, il regarda dès son plus jeune âge vers le pays du Soleil Levant, la fenêtre de sa chambre étant orientée plein Est.

Son livre de chevet est le 五輪書 de Miyamoto Musashi, qu’il a bien connu, mais il n’a toujours pas compris le titre. 

Altruiste, il pratique le kendo car il est persuadé que c’est bon pour la Paix dans le Monde, et il trouve que c’est très jus de raisin de se battre avec des copains pour gagner du terrain. Il pratique aussi la méditation, car il aime ne penser à rien.

Il adore les sushis.

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La seule photo connue d’Oriibu, à Kumamoto vers 1638 (?)


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