La voie des Dieux (Kami no Michi, Shinto) (partie 1/4)
Le shinto est indissociable du Japon, car c’est une religion qui y est née il y a plusieurs milliers d’années et en imprègne très fortement l’histoire et la culture. Pourtant, le shinto reste méconnu en dehors du pays du Soleil Levant. Cette méconnaissance est due à l’essence même du shinto qui ne s’est développé que par et pour les japonais. De plus, ce pays insulaire est resté fermé au reste du monde jusqu’à la fin du 19ème siècle, mis à part quelques épisodes, et les japonais n’ont jamais cherché à faire du prosélytisme « shinto », celui-ci étant par nature la religion de l’archipel nippon.
Tous les japonais sont shinto, qu’ils le veuillent ou non, consciemment ou non, tant leur mode de vie et leur mentalité sont imprégnés de cette religion depuis des siècles. Le Japon a connu d’autres influences philosophiques et spirituelles avec notamment le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme, mais même ces courants de pensée se sont japonisés en se « shintoïsant » ! Ces religions ou philosophies se sont développées au Japon (non sans difficultés parfois) car elles ont pu et su intégrer une part de la pensée shinto, tout comme le shinto a évolué au contact de ces autres influences. A l’opposé, une religion monothéiste, exclusive et dogmatique telle que le christianisme n’a pas pu s’implanter et se fondre dans la culture japonaise aussi facilement et reste, encore aujourd’hui, marginale dans le pays du Soleil Levant, même si on voit aujourd’hui des églises ou temples s’y implanter.
Qu’est-ce que le shintô ?
Shintô est composé de deux idéogrammes (ou kanji) d’origine chinoise :
• shin (神, kami en japonais) veut dire dieu ou dieux,
• to ( 道 , do ou michi en japonais) veut dire voie.
Shinto veut donc dire « voie des dieux », et les deux kanji ensemble peuvent également se traduire en japonais par kami no michi, l’autre nom du shinto.
Pour être très précis, la traduction de kami serait plutôt « force ou principe spirituel agissant », mais les termes dieu ou divinité sont employés communément.
Le pluriel employé dans « Voie des dieux » renvoie tout de suite à une notion de religion polythéiste, ce qui est confirmé par la présence effective de nombreuses divinités (kami) adorées dans les sanctuaires shinto. Pour cette raison, le shinto est souvent rapproché du chamanisme. Effectivement le shinto est issu des croyances et des pratiques rituelles apparues à l’époque protohistorique du Japon : culte de la nature, culte des morts, rites agraires. Ces croyances et rites ne prirent le nom « shinto » et ne furent clairement décrites qu’au 6ème siècle, en réaction à la concurrence du bouddhisme qui avait soudain les faveurs de la cour du Yamato et à l’influence grandissante de cette religion.
Il faut toutefois noter que de nombreux théologiens japonais affirment que le shintô est une religion monothéiste issue de Ame no minaki nushi no kami (Kami maître de l’auguste Centre du Ciel) qui a créé le monde. Tous les kami ne seraient que des avatars de cet auguste kami… Cette théorie est combattue par d’autres théologiens qui affirment avec force que le shintô est bel et bien une religion polythéiste ! Laissons les érudits se quereller, et contentons nous de constater qu’au Japon on trouve des milliers de sanctuaires shinto qui sont consacrés à des milliers de dieux !
D’abord, est-ce une religon ?
Pour ceux qui considèrent le shinto comme un ensemble de superstitions et de coutumes, la réponse est « non ». Mais pour 99,99% des japonais, la question leur paraîtrait très surprenante et la réponse serait « oui » ! La grande majorité des japonais pratique, souvent sans trop de conviction mais de façon naturelle, les deux religions que sont le shinto et le bouddhisme, puisque celles-ci ne sont pas exclusives et incompatibles. On dit souvent que les nippons vivent shinto et meurent bouddhistes, en se basant sur le fait que le shinto propose une vision du présent tandis que le bouddhisme propose une vision optimiste et simple de ce qui se passe après la mort, via la réincarnation, alors que c’est beaucoup plus nébuleux du côté shinto. Mais, on le verra, ce n’est pas si simple.
Philosophie universelle de la nature
Il est très difficile de décrire en quelques mots en quoi consiste le shinto, puisqu’il n’y a pas de dogme établi, donc pas de loi céleste à laquelle se référer. « Philosophie universelle de la nature », tel que l’a défini Jean Herbert (1955, orientaliste français, féru de shinto) est sans doute une très bonne définition car elle fait le lien entre le shinto et le culte de la nature, le respect de celle-ci et l’admiration de sa beauté dont font foi les japonais. Embrasser un arbre pour en sentir les vibrations, expression du kami de cet arbre, n’a rien d’extraordinaire pour un japonais. Tout élément de la nature peut être révéré en tant que kami de part son caractère sacré.
Ici et maintenant
Le shinto est une religion de l’ « ici et maintenant » qui ne se préoccupe pas « de ce qui est arrivé auparavant ni de ce qui arrivera plus tard » (Jean Herbert). Il n’y a pas de recherche d’une meilleure place dans un au-delà, mais une recherche de l’harmonie dans la vie présente. Et cette harmonie ne s’atteint pas en suivant une loi dogmatique, mais en développant un certain nombre de valeurs telles que le sens du devoir, la responsabilité, la fidélité, le sens de la communauté. Ces valeurs sont, très clairement, les valeurs de la société japonaise depuis plus de mille ans, comme on peut en juger dans le Japon féodal avec le bushido (voie des guerriers) par exemple, et dans le Japon moderne avec le fonctionnement de la société qui, bien qu’imprégnée de culture occidentale, garde coûte que coûte ses spécificités (respect, notion de groupe, devoir, fidélité).
Le shinto, développant une pensée non intellectuelle, privilégie un sens irrationnel qui donne une sensibilité esthétique et religieuse étonnante. Les japonais peuvent rester des heures assis face au spectacle de la nature sauvage ou à la beauté d’un jardin zen, leur esprit communiant alors avec la beauté de la nature, c'est-à-dire la puissance des kami. De même, ils sont également très sensibles à la puissance spirituelle qui peut se dégager d’une cathédrale européenne comme d’une toute petite chapelle gothique bretonne… Même là, il y a des kami !
Oriibu, le 4 août 2012
(photos (c) Oriibu, 2009, 2010, 2011, 2012)