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oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
6 janvier 2013

Musubi: Naissance et Devenir de toute chose

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Musubi est un concept très important dans le shinto. Le sens premier de musubi est unir, combiner, attacher ou « lier l’un à l’autre », mais suivant la façon de l’écrire en japonais, le sens du mot prend un sens spirituel plus profond en se traduisant par « Esprit de naissance et de devenir ».

De nombreux kami (divinités) du shinto ont le mot « musubi » dans leur nom car ce sont les kami qui apparurent les premiers lors de la création de l’univers et furent à l’origine de la naissance et du développement de toute chose. Ainsi Takami Musubi no Kami (Auguste kami créateur de merveilles) est lié aux dieux du ciel, tandis que Kami Musubi no Kami (Kami créateur de trésors) est lié aux dieux de la terre. Ces deux kami avec  Ame no Minaka Nushi no Kami (Auguste Kami du Centre de l’Univers), sont les trois plus importants kami de la mythologie Shinto (ce dernier étant même pour certains le kami duquel descendent tous les autres kami), car ce sont eux qui naquirent d’eux-mêmes en provenance du néant et permirent ensuite la création de la terre et de la vie. (1) 

 Musu veut dire créer, engendrer, générer, tandis que hi (qui devient bi dans musubi pour des raisons de règles phonétiques en japonais) se traduit par soleil, feu ou esprit. 

Le musubi est le principe fondamental qui permet au monde de vivre et d’évoluer : c'est la  « force vitale ».

 Motohisa Yamakage (2)  traduit aussi le mot musu par vapeur ou infusion, fermentation. Par la fermentation, le riz évolue et se transforme en sake (alcool), suivant ainsi le principe du musubi.

Le musubi se retrouve également dans l’union d’un homme et d’une femme qui donne naissance à une nouvelle vie. Dans l’acte sexuel, il y a « union » et « génération de la vie » telles qu’on l’entend dans le mot musubi : « l’idée religieuse fondamentale du shinto est le processus continu de la création » (Motohisa Yamakage).

Ce principe fondamental s’applique aussi bien au niveau collectif qu’au niveau individuel de chacun. Le musubi d’un individu est la façon dont il fait évoluer, transformer et développer son esprit en le rendant plus fort.

Au niveau individuel, il faut entendre cette évolution par trois « créations » :

  • création du corps (entretien de la santé),
  • création du cœur (croissance psychologique)
  • création de l’esprit (purification de l’âme)  

Le shinto considère donc comme mauvais tout ce qui empêche ces créations, et bon tout ce qui au contraire les favorise. C’est le côté ambivalent du musubi :

  • Un processus positif : énergie mâle qui permet à la vie de se développer, présente au printemps et en été (saisons positives). C’est le saki mitama, esprit positif qui permet à la fleur de pousser et fleurir.
  • Un processus négatif ou passif: énergie femelle qui rétracte et absorbe les choses, présente à l’automne et en hiver (saisons négatives). C’est le kushi mitama, esprit négatif qui fane la fleur.

L’union de forces opposées permet la création de quelque chose de nouveau. Comme dans le Yin Yang du bouddhisme, l’esprit positif du shinto a besoin de l’esprit négatif qui permet d’harmoniser les choses pour les faire renaître. La fleur fane en concentrant toute son énergie au niveau des racines pour renaître à nouveau. « La vie porte en elle la mort, mais la mort est promesse d’une vie future » (Bernard Marillier(3)).

Cette ambivalence entre le processus positif et négatif de toute chose est arbitré par un kami spécifique, Ame no Minaka Nushi no Kami (Auguste Kami du Centre du Ciel), créateur de l’univers : « c’est grâce à la médiation de cette Divinité toute unifiante que se réalise harmonieusement la confluence des forces cosmiques croissantes et décroissantes » (J. Herbert)

 Une autre façon d’appréhender le musubi nous est donnée par Yukitaka Yamamoto(4) qui compare le musubi vertical du shinto au musubi horizontal des autres religions. Ces dernières (christianisme, islamisme, judaïsme, bouddhisme) ont en effet un « fondateur », ou tout au moins un personnage historique qui a transmit la religion de façon horizontale, c'est-à-dire à partir d’un point de l’histoire. Dans le shinto, pas de fondateur ou de prophète, mais le concept central est le musubi vertical, celui de Kannagara : « c’est la tentative d’amener les Kami, le divin, en relation directe avec les hommes ».  

Yukitaka Yamamoto n’oppose pas les deux musubi, vertical et horizontal, bien au contraire puisqu’ils permettent de former une trame : « un croyant Shinto qui dénonce les autres religions n’est pas un vrai croyant ». Ainsi n’importe quel croyant shinto peut se rendre au sanctuaire shinto au Nouvel An, dans un temple bouddhiste pour prier pour les âmes des ancêtres ou dans une chapelle chrétienne la veille de Noël.

 Pour Soho Machida(5), l'idée de musubi inhérente au Shinto a le sens de « relier », « unir ». La société humaine est faite de multiples oppositions (homme/femme, bien/mal, mensonge/vérité, chef/subalterne, etc), mais le musubi permet d’évoluer vers la réconciliation de tous.

 Concept fondamental de la religion Shinto, le musubi apparaît donc moderne et universel, et on ne peut qu’espérer comme Soho Machida que cette force de vie et ce processus continu de création permettent d’initier « la culture de la réconciliation globale », pour que le Monde devienne chaque jour un peu meilleur...

 Le 6 janvier 2013, Oriibu           

 Sources :

 (1) Institute for Japanese Culture and Classics, Kokugakuin University,  http://www2.kokugakuin.ac.jp/ijcc/wp/bts/bts_m.html

 (2) Shinto, sagesse et pratique, Motohisa Yamakage, éditions Sully, 2012 (publié en anglais sous le titre « The Essence of Shinto, Japan’s Spiritual Heart, édition Kodansha  International, 2006).

 (3) B.A.-BA shinto, Bernard Marillier, édition Pardès, 2009.

 (4) : Kami no michi, récit autobiographique de Yukitaka Yamamoto, le 96ème grand prêtre du sanctuaire Tsubaki, préfecture Mie, au Japon, http://budoshugyosha.over-blog.com/article-kami-no-michi-partie-9-52072328.html, traduction Eric Grousilliat. En anglais : http://www.csuchico.edu/~gwilliams/tsa/Kami_no_Michi_ToC.html

 (5) : Pensées de Soho Machida (décembre 2012), moine bouddhiste zen fondateur du Soho Zen, http://sohozen.canalblog.com/,  http://ameblo.jp/kazenotsudoi/

Photos (c) Oriibu

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Commentaires
M
Immense merci! J'arrive ici moi aussi après avoir vu Your name, qui m'avait dès le début interpelée car l'héroïne y officie en prêtresse shinto. Le terme musubi y est mentionné... je suis si heureuse d'avoir trouvé votre article et toutes ces références. Il n'est pas évident de trouver des ressources au sujet du shinto, je ne connaissais que l'ouvrage de Motohisa Yamakage. Arigato. :)
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O
Un grand merci pour votre commentaire! Je ne connais pas ce film, je vais donc lancer l'enquête!
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K
Super intéressant je cherchais des informations après avoir vu le film Kimi no na wa/Your Name qui aborde le sujet et j’en ai trouvé, merci !
Répondre
oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
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Bio bio d'Oriibu

Né au Japon en 1599 et mort en 1664, on ne sait pas grand-chose de la vie d’Oriibu, si ce n’est qu’il aimait les fleurs de cerisier et la soupe miso. Réincarné en Français au 20ème siècle, il regarda dès son plus jeune âge vers le pays du Soleil Levant, la fenêtre de sa chambre étant orientée plein Est.

Son livre de chevet est le 五輪書 de Miyamoto Musashi, qu’il a bien connu, mais il n’a toujours pas compris le titre. 

Altruiste, il pratique le kendo car il est persuadé que c’est bon pour la Paix dans le Monde, et il trouve que c’est très jus de raisin de se battre avec des copains pour gagner du terrain. Il pratique aussi la méditation, car il aime ne penser à rien.

Il adore les sushis.

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La seule photo connue d’Oriibu, à Kumamoto vers 1638 (?)


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