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oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
27 novembre 2012

La voie des Dieux (Kami no Michi, Shinto) (partie 4/4): Le shinto, d’hier à aujourd’hui

(suite et fin de l'étude en 4 parties sur le shinto)

 

Pour comprendre l’influence du shinto dans le Japon d’aujourd’hui, il faut connaître au moins les grandes lignes de son histoire.

Celle-ci remonte à  plusieurs milliers d’années, aux cultes que pratiquaient les différents peuples de l’archipel, souvent sans relation entre eux. Ces cultes protohistoriques avaient bien sûr, comme en occident, un lien très fort avec la nature et ses manifestations, avant de progressivement se structurer. Nul écrit ou traité ne traite alors de ce shinto primitif qui, sans aucune concurrence religieuse, se contente d’une transmission orale et rituelle.


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Ancien Temple shinto à Ishinogaki (Okinawa)

Ce fut finalement au moment où le bouddhisme venu de Chine fit son apparition dans l’archipel, à la cour du premier Etat japonais, le Yamato (5ème et 6ème siècle), que fut ressenti le besoin d’écrire et de compiler les croyances religieuses traditionnelles du Japon. Et ce fut en 712 que ces écrits furent compilés sous la forme de la « Chronique des faits anciens », le kojiki.

C’est dans ce document vieux de 1300 ans qu’on retrouve le récit de la création du ciel et de la terre,  la naissance et les actions des différents dieux formant la mythologie japonaise. C’est dans ce livre, commandé par l’empereur Temmu en réaction à l’avance des idées bouddhistes menaçant de faire disparaître les cultes ancestraux, qu’est clairement décrit la lignée directe des empereurs avec les kami principaux, dont la déesse du soleille Amaterasu. Les dires de ce livre ne seront jamais remis en cause jusqu’en 1945 où, après la défaite, l’empereur dut déclarer qu’il n’était pas de nature divine…

Mais avant cela, pendant 14 siècles, le shinto se développa en parallèle avec le bouddhisme, de nombreux ponts se créant entre les deux religions. Le bouddhisme nippon se transforma progressivement au contact du shinto, s’éloignant de façon assez importante du bouddhisme chinois ou indien, créant de nouveaux courants doctrinaux différents, notamment à partir de la période de Nara (8ème siècle).

Parmi les différentes formes de bouddhisme qui se développèrent au Japon, le bouddhisme zen naquit à cette époque et s’épanouit à tel point qu’il est dit qu’ « une connaissance du Bouddhisme zen prépare la voie à une entière compréhension de la culture traditionnelle japonaise dans sa totalité » (Fujisawa). Si le zen naquit et se développa si facilement au Japon, c’est évidemment grâce à une très grande similitude de pensée avec le shinto.

Les autres influences extérieures qui firent évoluer le shinto furent le confucianisme et le taoïsme, arrivés au Japon au 4ème et 6ème siècle. Ces philosophies s’intégrèrent également au shinto et bouddhisme en apportant chacune leur pierre à l’édifice de la pensée nipponne : le confucianisme influa sur la moralité, tandis que le taoïsme eut une influence plus limitée mais réelle via des rites plus ésotériques influant quelques sectes.

 

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hokura (petit sanctuaire shinto) , Mont Kuruma

Les kami du shinto se retrouvèrent intégrés dans les divinités bouddhistes, ce qui fit que le bouddhisme prit progressivement la prééminence sur toute autre religion.

Cela provoqua des réactions de la part des tenants d’un shinto pur et dur, notamment  celle du prêtre shinto Urabe  (qui se fit appeler  Yoshida) qui fonda au 15ème siècle la religion shinto Yoshida (« un seul et unique shinto ») et bâtit un nouveau sanctuaire au sommet du mont Yoshida (Kyoto).

Mais dans la société nippone, les 2 religions continuent à se développer et à se mêler naturellement, tant leurs fondements sont compatibles.

Quand Miyamoto Musashi, célèbre samurai du 17ème siècle, se rend à un duel et s’arrête devant un autel bouddhiste pour faire sonner la cloche shinto afin de faire une prière demandant de lui octroyer la victoire, il se reprend en pensant « il faut vénérer les bouddhas et les kamis, mais ne pas compter sur eux »… Bouddha et kami font partie de son univers spirituel.

Pendant des siècles, le shinto, comme le bouddhisme, façonna l’âme des guerriers japonais, les samurais, comme celle de tout le peuple japonais.

 

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Prêtres shinto lors d’une cérémonie (Tokyo)

Ce fut au 19ème siècle, au début de l’ère Meiji (1868) qui marqua la reprise du pouvoir de l’empereur sur les shogun et  l’ouverture du Japon au monde occidental, que le shinto fut déclaré « religion d’état ». Ceci avait évidemment pour but de restaurer pleinement le pouvoir et la suprématie de l’empereur : les prêtres shinto deviennent des fonctionnaires sous le pouvoir de l’état, et les symboles bouddhistes sont peu à peu effacés des sanctuaires. Le shinto vit alors une période relativement sombre pendant laquelle son idéologie est manipulée au service du pouvoir impérial en permettant la justification des visées colonialistes et guerrières du Japon de cette époque, jusqu’à son arrêt brutal en 1945, avec la reddition du Japon face au vainqueur américain.

En janvier 1946, l'empereur déclare publiquement dans un édit impérial qu'il n'était pas une divinité incarnée, mettant ainsi fin à plus de 70 ans de « shinto religion d’état ». Cela mit un sacré frein à la ferveur religieuse des japonais envers un culte qui, dans sa dernière évolution, avait mené le pays vers tous les excès nationalistes et colonialistes.

Mais aujourd’hui le shinto débarrassé de toute la rhétorique nationaliste et retrouvant son sens originel reste largement pratiqué par les japonais qui y voient une façon de conserver leurs valeurs et traditions dans un monde de plus en plus matérialiste.

 

Depuis des siècles, le Bouddhisme et le Shinto participent ensemble harmonieusement à la vie spirituelle des japonais pour leur bonheur.

Bouddhisme et shinto continuent à alimenter la spiritualité des japonais, dans une voie qui leur est propre et qui reste ouverte à toute personne curieuse et sensible à cette spiritualité naturelle qui se dégage de l’esprit et des lieux sacrés du Pays du Soleil Levant.

Le shinto continue à vivre dans la mentalité nippone où il est ancré de façon indélébile, et dans les rites et fêtes qui émaillent la vie de tous les villages nippons, tels la visite au sanctuaire shinto le jour du nouvel an, évènement suivi par des millions de japonais, où les fêtes villageoises traditionnelles qui marquent les saisons ou anniversaires importants.

 

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Foule faisant la queue sous la neige pour se recueillir au sanctuaire de Morioka le 1er janvier 2012

  

Conclusion:

Voici un rapide tour de ce que j’ai pu comprendre du shinto, religion difficile à aborder en raison de la barrière de la langue et de l’absence de dogme ou de préceptes bien précis, mais finalement tout à fait accessible à tout un chacun en raison même de cette absence de dogme !

On ne peut sans doute pas comprendre les japonais et leur mentalité sans connaitre leur culture et donc leur religion séculaire qu’est le shinto, indissociable du bouddhisme japonais qu’il faut également comprendre.

Ce texte n’est donc qu’une approche très succincte du sujet, mais elle permettra je l’espère au passionné du Japon d’en savoir un peu plus et de vouloir en apprendre encore plus (voir bibliographie en dernière page), et au futur visiteur du Japon d’appréhender ce pays avec les quelques connaissances de bases indispensables à une imprégnation culturelle lors des visites de sanctuaires shinto ou temples bouddhistes.

Ce qui est par ailleurs intéressant, c’est de réaliser à quel point le shinto, vieux de plusieurs milliers d’année, est étonnamment moderne et s’inscrit parfaitement dans le mouvement de retour à l’authentique, à la communication avec la nature et aux relations entre les êtres humains.  Le shinto devrait pouvoir répondre à l’attente de beaucoup de nos contemporains de toutes origines qui vont parfois chercher dans des mouvements « nouveaux », parfois un peu charlatans ou sectaires, ce qui existe depuis la nuit des temps au Japon et a perduré sans discontinuité tout en s’adaptant et en évoluant.

Pour en savoir plus, il conviendra de se référer aux livres cités en bibliographie, notamment les deux premiers.

 

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Le 27 novembre 2012, Oriibu

 

PS :

 

Je n’ai jamais utilisé le mot « shintoïsme » pourtant souvent utilisé dans la littérature, préférant celui de « shinto »… Le rajout du suffixe « isme » me faisant (peut-être à tort) penser à un mouvement doctrinaire, alors que justement le shinto ne possède pas de dogme ou doctrine absolue. De plus, shinto signifiant « voie des dieux », le « voie-des-dieux-isme » ne veut rien dire !

 

D’autre part, les mots japonais sont écrits en italique et ne sont pas conjugués au féminin ou au pluriel, ces conjugaisons n’existant pas en japonais. Ecrire « les kami » sans « s » n’est donc pas une faute d’orthographe !

 

PPS:

1ère partie de l'article: La voie des Dieux (Kami no Michi, Shinto) (partie 1/4)

 2ème partie de l'article La voie des Dieux (Kami no Michi, Shinto) (partie 2/4)

 3ème partie de l'article La voie des Dieux (Kami no Michi, Shinto) (partie 3/4)

 

 

Crédit Photos :

 

© Olivier de Lataillade, 2009, 2010, 2011

 

Bibliographie :

  • Shinto, sagesse et pratique, Motohisa Yamakage, éditions Sully, 2012 (publié en anglais sous le titre « The Essence of Shinto, Japan’s Spiritual Heart, édition Kodansha  International, 2006).
  • B.A.-BA shinto, Bernard Marillier, édition Pardès, 2009.
  • Histoire du Japon et des Japonais, Edwin O. Reischauer, éditions du Seuil, 1973, 1997.
  • Japon, peuple et civilisation, sous la direction de Jean-François Sabouret, éditions La Découverte, 2004.
  • B.A.-BA samuraï, Bernard Marillier, édition Pardès, 1999.
  • Guide initiatique des Arts martiaux, Marc Questin, éditions Montorgueil, 1992.
  • wikipedia: le shintoïsme http://fr.wikipedia.org/wiki/Shinto%C3%AFsme
  • wikipedia: le shintoïsme d'Etat: http://fr.wikipedia.org/wiki/Shinto%C3%AFsme_d%27%C3%89tat
  • Le Shintô Japonais, Jacques Henri Prevost,, http://jacques.prevost.free.fr/cahiers/cahier_20.htm

 

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Commentaires
C
Ah voilà le 4ème article que je cherchais! c'est donc complet! ;) <br /> <br /> Votre site est une vraie mine.<br /> <br /> merci de votre tolérance. <br /> <br /> cordialement<br /> <br /> Catherine
Répondre
O
Bonjour, et merci pour ce long commentaire ! Et je te prie d’excuser le retard de ma réponse.<br /> <br /> Je ne veux pas polémiquer et je respecte ton point de vue qui tient la route, mais inutile de te dire que je ne le partage pas ! je relèverai juste quelques points particuliers de tes propos.<br /> <br /> Tu dis que « La plupart des puristes de la tradition shintô au Japon sont de droite voire d'extrême-droite »… ah bon ?? Je suis à 100% pas d’accord ! C’est une vision très restrictive et manichéenne que tu as là. Une façon très occidentale de juger un vaste sujet à partir d’une toute petite partie de ce sujet (ici Yasukuni-jinja, vu avec des yeux occidentaux). Je ne nie pas la récupération nationaliste que font certains du shinto, mais ce n’est qu’un tout petit bout (et problème) du shinto. Ce n’est absolument pas ça, le shinto.<br /> <br /> Tu dis que « Croire que les forces de la nature sont toutes puissantes ou même qu'il existe des forces de la nature, pour moi, ça relève du dogme ». Ah bon ? On ne peut pas nier que les forces de la nature existent (notamment au Japon, mais pas que), et croire qu’on peut maîtriser la nature serait prétentieux et pour le coup dogmatique ! Donc, les Japonais ne « maîtrisent » pas la nature, ils essaient juste de minimiser au maximum les conséquences des catastrophes naturelles (normes antisismiques, digues, etc). Autrefois, ils ne pouvaient pas construire de digues, alors ils habitaient tout simplement sur les hauteurs, loin du rivage…<br /> <br /> Quant à la fermeture du Japon au reste du monde, tu as raison, elle n’a jamais été totale. D’ailleurs j’en parle largement dans cet article. Mais les relatives ouvertures qui existaient concernaient le commerce, la religion, les militaires, l’élite, ce qui a fortement influencé la société japonaise, mais pas transformé. Le Japon a juste pris des trucs venant de l’extérieur et les a japonisés, adaptés. D’où une culture japonaise très spécifique, malgré ces emprunts externes.<br /> <br /> Quant au paradoxe du Japon d'aujourd'hui qui mêle « des idéologies traditionnelles (shintô, bouddhisme, confucianisme) à des idéologies modernes », je suis d’accord avec toi ! Et ce paradoxe est fascinant… <br /> <br /> Par contre, je ne partage pas ta vision pessimiste sur l’avenir du Japon, l’Histoire nous ayant prouvé jusqu’ici qu’il s’en est toujours sorti ! Et je pense que c’est grâce à sa culture, notamment shinto mais aussi bouddhiste, confucianiste, et maintenant moderne, etc. Comme tu dis : « J'ai du mal à comprendre comment l'équilibre est maintenu ». C’est ça qui est fascinant et doit nous interroger sur notre vision des choses!
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A
Hmm, j'ai un doute sur le "modernisme" du shintô.<br /> <br /> La plupart des puristes de la tradition shintô au Japon sont de droite voire d'extrême-droite. Tu me diras sûrement que c'est une récupération des nationalistes et une déviance de l'époque du kokkashintô mais le culte des militaires morts pour la patrie (notamment au Yasukuni-jinja), je trouve ça moyennement moderniste.<br /> <br /> De plus, je suis pas d'accord sur le fait que l'animisme, surtout celui du shintô, n'implique pas de réel dogme. Y a pas longtemps, je parlais avec une amie japonaise de la dangerosité de vivre au Japon en raison des catastrophes naturelles et elle m'a dit "mais c'est la nature, on peut rien y faire". Je suis désolé, mais en construisant des digues (par exemple, à la place des centrales nucléaires, je dis ça, je dis rien), on peut limiter l'impact des tsunami, et les Japonais sont devenus les grands spécialistes des structures para-sismiques. D'une certaine façon, c'est parce qu'ils ont appris à "maîtriser" la nature qu'ils sont encore en vie et à un haut niveau de développement. Croire que les forces de la nature sont toutes puissantes ou même qu'il existe des forces de la nature, pour moi, ça relève du dogme.<br /> <br /> C'est là tout le paradoxe du Japon d'aujourd'hui, mêler des idéologies traditionnelles (shintô, bouddhisme, confucianisme) à des idéologies "modernes" et carrément débridées (société de consommation à son apogée, marchandisation extrême de tout, technologies de pointe). La "résistance au matérialisme", quand je vois le mode de vie de 95% des Japonais, j'ai du mal à y croire. Tu rentres dans le métro et tu vois la moitié des gens les yeux braqués sur leurs smartphones, le rêve de toutes les gamines est d'aller à Disneyland, et celui de pas mal de salarymen d'aller se bourrer la gueule dans des izakaya avant de finir dans des kyabakura voire chez les putes. Ce qui devrait être en parfaite contradiction est savamment combiné. J'ai du mal à comprendre comment l'équilibre est maintenu. D'ailleurs, je pense que le Japon ne va pas tarder à s'écrouler au vu des défis qui l'attendent (notamment à cause du vieillissement de la population et de l'obstination à refuser l'immigration et le métissage de son peuple).<br /> <br /> Encore un détail, au début, tu dis que le Japon est resté fermé au monde pendant la majeure partie de son histoire, mais je trouve que c'est assez caricatural de dire ça.<br /> <br /> Le Japon était en contact avec la péninsule coréenne (à l'époque divisée en 2 voire 3 royaumes) et avec la Chine (pareil que pour la Corée mais en pire) depuis belle lurette. Puis les Portugais sont venus et les missionnaires avec, et ce n'est que sous les Tokugawa que les étrangers (qui ont quand même apporté avec eux certaines technologies et notamment les armes à feu qui ont révolutionné les tactiques militaires au Japon), en dehors des Hollandais (ce qui n'est pas négligeable, car grâce à eux, les Japonais gardaient une vitrine sur le monde et étaient au courant de la plupart des progrès technologiques), ont été bannis du Japon. Mais si on regarde cette période de sakoku de 200 ans, finalement ça fait très peu. Alors qu'à chaque fois que le Japon s'est ouvert au monde (Antiquité, 6-7ème siècle, révolution Meiji), les progrès ont été fulgurants. Ere Nara : importation du bouddhisme, de l'écriture chinoise et des technologies chinoises et coréennes. Le Nihonshoki et le Kojiki s'inspirent d'ailleurs d'écrits chinois pour justifier le caractère divin de la lignée impériale. Kôtoku s'inspire lui aussi des textes administratifs chinois pour écrire la réforme de Taika.<br /> <br /> Bon bref, on va pas revenir sur toute l'histoire du Japon, mais je conseille "Nouvelle histoire du Japon" de Pierre Souyri pour avoir un bon aperçu.
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oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
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Bio bio d'Oriibu

Né au Japon en 1599 et mort en 1664, on ne sait pas grand-chose de la vie d’Oriibu, si ce n’est qu’il aimait les fleurs de cerisier et la soupe miso. Réincarné en Français au 20ème siècle, il regarda dès son plus jeune âge vers le pays du Soleil Levant, la fenêtre de sa chambre étant orientée plein Est.

Son livre de chevet est le 五輪書 de Miyamoto Musashi, qu’il a bien connu, mais il n’a toujours pas compris le titre. 

Altruiste, il pratique le kendo car il est persuadé que c’est bon pour la Paix dans le Monde, et il trouve que c’est très jus de raisin de se battre avec des copains pour gagner du terrain. Il pratique aussi la méditation, car il aime ne penser à rien.

Il adore les sushis.

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La seule photo connue d’Oriibu, à Kumamoto vers 1638 (?)


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