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oriibu (chroniques anachroniques sur le Japon)
3 juillet 2016

Shoshin : Etre libre de toute pensée encombrante

Parmi les enseignements qui nous viennent du bouddhisme japonais, il y en a un qui est particulièrement intéressant et résonne comme une grande voie de progrès de notre société…

Il s’agit de Shoshin, terme japonais que l’on traduit généralement par « esprit du débutant » et  concept très connu et utilisé dans le bouddhisme zen et dans les arts martiaux. Personnellement, je pense que sa portée va bien au-delà de ces deux domaines.

theiere

Pour illustrer ce qu’est Shoshin, l’histoire de la tasse de thé qui déborde est souvent racontée :

Un célèbre maître de zen reçoit un jour la visite d'un homme qui déclare vouloir étudier avec lui. Le maître l'invite à boire le thé pendant que le visiteur lui expose son passé. Tandis que le maître sert  le thé, le visiteur soucieux de prouver à quel point il est avancé sur la voie  lui décrit son cheminement spirituel, ses découvertes, ses réflexions et nomme les maîtres qu'il a côtoyés.

Le maître l’écoute attentivement tout en continuant à verser la boisson dans la tasse qui finit par déborder, le thé s’écoulant tout autour. L’élève, étonné, choqué, s’écrit alors : "Mais que faites-vous?! Arrêtez de verser, ma tasse est déjà pleine!".

Et le maître lui répond calmement : "Comment voulez-vous qu'un enseignement pénètre votre esprit alors qu'il est déjà plein comme cette tasse?"

De façon imagée, le maître zen explique ici qu’on ne peut plus rien faire rentrer dans un esprit déjà plein… Effectivement, on peut avoir acquis plein de savoirs ou vécu de multiples et riches expériences mais, si on croit déjà tout savoir, si on croit déjà savoir à priori ce que va nous apporter l’enseignement, alors notre esprit est plein comme cette tasse de thé. 

Shunryu_Suzuki

C’est ce que veut dire Shunryu  Suzuki (1904-1971) à propos de la méditation : « Lorsque nous n’avons pas idée de ce que nous allons trouver dans la méditation, pas d’attente, nous sommes de vrais débutants. Alors nous pouvons réellement apprendre quelque chose. »  A contrario, si nous avons une idée préconçue de ce qu’est sensé nous apporter la méditation, ou si nous pensons que la méditation est un truc plus ou moins ésotérique qui ne sert à rien ou si au contraire nous croyons déjà tout connaître des bienfaits de celle-ci, il y a de grandes chances que nous n’apprenions rien car notre esprit encombré de pensées n’est pas disposé à recevoir un nouvel enseignement.

Est-ce à dire que nous sommes voués à ne jamais progresser puisque, par définition, plus nous progressons dans une voie, plus nous pratiquons et apprenons, moins nous sommes débutants ? Est-ce à dire que nous ne devons pas chercher à apprendre ou progresser pour rester éternellement débutant et donc avoir le bon esprit ? Bien sûr que non !  Il s’agit juste de garder l’esprit du débutant, cultiver cet état d’esprit spontané, ouvert, enthousiaste.

1000_arms

De façon tout aussi imagée que l’histoire du bol de thé qui déborde, Takuan Soho (1573-1645) évoque Kannon la déesse aux mille bras :

« Si l’esprit s’arrête au bras qui tient un arc,

à quoi bon les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres bras? »

TakuanSoho

Pour Takuan Soho, c’est parce que l’esprit ne se laisse pas retenir sur un seul aspect que tous les bras de Kannon trouvent leur raison d’être. On ne doit pas garder l’esprit fixé sur le bras qui tient l’arc, mais essayer de comprendre pourquoi il y a 999 autres bras. Et c’est important car, pour Takuan Soho, même si Kannon n’a qu’un seul corps, ses mille bras ont leur utilité. Seul celui qui a la sagesse immuable peut comprend le sens de ce message.

Takuhan Soho précise sa pensée : si l’on se tient face à un arbre et que l’on regarde précisément une feuille rouge, on n’en voit pas les milliers d’autres, tandis que si l’esprit n’est pas encombré de pensées, le nombre de feuilles que l’on voit est illimité. Pour parvenir à cet état d’esprit, il faut quitter le domaine du débutant et cheminer sur la voie de la sagesse immuable, pour un jour retomber au niveau du débutant, dans un état où l’intellect perd sa fonction et « l’homme se retrouve Sans-Esprit-Sans-Pensée ».

Passer de l’état d’esprit du débutant à l’état du Sans-Esprit-Sans-Pensée, de « l’ignorance et l’affliction du début » à la « sagesse immuable » qui ne font plus qu’un, ne se fait pas au moyen d’une simple compréhension ou démarche intellectuelle : cela nécessite un entraînement technique. Takuan Soho dit :

« La technique et le principe sont les deux roues d’une même charrette »

S’entraîner à la technique sans chercher la sagesse, ou chercher à atteindre la sagesse sans effort, voilà les deux erreurs à ne pas commettre. Pendant l’entraînement, que ce soit à un art martial ou à la méditation, il faut « chercher l’esprit perdu » avant de pouvoir « perdre l’esprit ».

« Chercher l’esprit perdu »

Chercher l’esprit perdu, c’est le ramener en permanence à nous, ne pas le laisser divaguer, se laisser souiller et arrêter par nos actes ou des influences externes.  Comme pour le lotus qui s’épanouit dans la boue, l’entraînement nous permet de nous épanouir et de progresser malgré (ou grâce à) la boue.

« Perdre l’esprit »

Et alors, quand notre esprit aura réussi à vaincre la boue, ne pas rester prisonnier de celle-ci, comme le cristal qui ne s’altère pas même s’il est jetée dans la boue, nous pourrons « perdre l’esprit », c'est-à-dire le laisser aller, ne pas le retenir prisonnier de certitudes ou d’habitudes faciles.

C’est à ce moment là que nous pourrons être Sans-Esprit-Sans-Pensée, comme un débutant… la sagesse immuable en plus, comme l’épouvantail du poème du moine bouddhiste Bukkoku (1256-1316) :

Bien que de toute évidence

Il ne puisse monter la garde

Dans les petits champs de montagne

L’épouvantail

N’est pas là en vain

épouvantail

Pour en arriver là, il faut garder Shoshin, l’esprit du débutant, tout au long de l’entraînement, curieux, enthousiaste, modeste et ouvert. Pour Takuan Soho, celui qui dés le début n’a aucune sagesse n’en aura jamais et ne trouvera pas sa voie, tandis que celui qui prétend dès le début tout savoir « laisse échapper la sagesse du haut de son crâne et semble bien ridicule».

 

Sources :

  • Fudoo-chi Shinmyoo Roku (Le Récit Mystérieux de la Sagesse Immuable), dans « L’Esprit Indomptable, écrits d’un maître zen à un maître de sabre », Takuan Soho, Budo Editions, 2007.
  • Esprit zen, esprit neuf, Shunryu  Suzuki, 1970, éditions du Seuil, 1977.
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Bio bio d'Oriibu

Né au Japon en 1599 et mort en 1664, on ne sait pas grand-chose de la vie d’Oriibu, si ce n’est qu’il aimait les fleurs de cerisier et la soupe miso. Réincarné en Français au 20ème siècle, il regarda dès son plus jeune âge vers le pays du Soleil Levant, la fenêtre de sa chambre étant orientée plein Est.

Son livre de chevet est le 五輪書 de Miyamoto Musashi, qu’il a bien connu, mais il n’a toujours pas compris le titre. 

Altruiste, il pratique le kendo car il est persuadé que c’est bon pour la Paix dans le Monde, et il trouve que c’est très jus de raisin de se battre avec des copains pour gagner du terrain. Il pratique aussi la méditation, car il aime ne penser à rien.

Il adore les sushis.

oriibu6

La seule photo connue d’Oriibu, à Kumamoto vers 1638 (?)


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